DumbLand

Randy, un individu grossier au physique d’ogre et au souffle rauque, vit dans son pavillon de banlieue avec sa femme en proie à des crises de nerfs et son fils Sparky constamment surexcité. Son quotidien morne et son tempérament sanguin le mènent dans des situations aussi brutales et absurdes les unes que les autres.

Rarement un dessin animé aussi dérangeant aura autant détonné au sein de la filmographie d’un auteur prestigieux et respecté… tout en s’inscrivant dans la parfaite logique de son parcours.

David Lynch a beau être l’un des réalisateurs les plus acclamés de l’Histoire du cinéma avec des films tels que Eraserhead (1977), Blue Velvet (1986), Lost Highway (1997) ou Mulholland Drive (2001), ces derniers ne représentent pourtant qu’une infime partie d’une œuvre beaucoup plus large couvrant les champs de la peinture, du dessin, de la photographie, de la musique et de la vidéo. Le cinéma d’animation ne fait pas exception et figure d’ailleurs en bonne place dans les débuts de l’artiste avec les courts-métrages Six Figures Getting Sick (Six Times) (1966), The Alphabet (1968) et The Grandmother (1970). L’intéressé fera même une incursion dans le milieu de la bande dessinée avec The Angriest Dog in the World (1983-1992), une série de strips basée sur un seul et même dessin d’un chien attaché dans un jardin dont la seule variation sont les dialogues ayant lieu dans la maison attenante tandis que la dernière case est sempiternellement muette et dépeinte de nuit.
Profitant de l’essor d’Internet, le réalisateur lance le 10 décembre 2001 le site davidlynch.com (fermé depuis) en proposant aux fans du contenu inédit payant. Cet espace de création libre, non soumis aux exigences du cinéma et de la télévision, lui a permis de délivrer de nouvelles expérimentations telles que la série Cannes Diary qui chronique le passage du cinéaste au Festival de Cannes et la pseudo-sitcom Rabbits – dont certains volets seront repris dans le long-métrage Inland Empire en 2006. Mais la création la plus troublante du site restera DumbLand, un dessin animé trash en 8 épisodes.

Réalisée à la souris sur le logiciel Flash, cette mini-série d’une durée totale de 33 minutes apparaît comme un retour au domaine de l’image par image pour Lynch, ainsi qu’une réminiscence de The Angriest Dog in the World avec son dessin cru et ses dialogues incongrus. Chaque épisode est élaboré en une dizaine de jours, de l’écriture à l’enregistrement des dialogues et de la bande-son en passant par l’animation sur Flash que Lynch utilise pour la première fois et dont il apprécie grandement l’interface intuitive. Car la série DumbLand est avant tout à prendre pour ce qu’elle est : une pure création spontanée de la part de son auteur qui ne se soucie pas le moins du monde de la façon dont elle sera accueillie. L’animation est brute et saccadée au possible, la bande-son est ouvertement saturée, les dialogues orduriers fusent et les gags, ultra-violents et scatologiques, sont étirés jusqu’au malaise…
Pourtant, au-delà de son aspect simplement « bête et méchant », DumbLand s’inscrit bien dans la lignée des œuvres audiovisuelles de David Lynch : on y retrouve à l’instar de ses films cette violence larvée dans un environnement urbain morne, cette ironie grinçante générée par des dialogues décalés, ces moments de silence pesants et cette vision onirique du monde, davantage focalisée sur le « comment » que sur le « pourquoi ». La dimension comique – jamais totalement absente chez le réalisateur – occupe ici la première place pour devenir d’autant plus dérangeante, entre la naïveté des dessins, les attitudes figées des personnages, les gags à base de visages démolis à coups de poings et les nombreux pets qui ponctuent les récits.

Stupide, violent, absurde, DumbLand constitue un geste d’animation impulsive et décomplexée, témoin de cette période d’émergence de la culture du web au début des années 2000 à laquelle David Lynch ajoute sa patte unique.