Fiche technique
Nom original | Hey Good Lookin' |
Origine | Etats Unis |
Année de production | 1974/1982 |
Production | Bakshi Productions Inc., Warner Bros |
Durée | 77 min |
Auteur | Ralph Bakshi |
Réalisation | Ralph Bakshi |
Production | Ralph Bakshi |
Producteur associé | Lynne Betner |
Producteur exécutif | Ronald Kauffman |
Scénarii | Ralph Bakshi |
Animation | Brenda Banks, Carl Bell, Bob Carlson, John Gentilella, Steve Gordon, Tayk Kim, John Kricfalusi, Manny Perez, Virgil Ross, John Sparey, Irven Spence, Tom Tataranowicz, Robert Taylor, John Walker |
Chara-Design | David Jonas, Louise Zingarelli |
Décors | Johnnie Vita, Ira Turek, René Garcia, Matt Golden |
Layout | John Sparey, David Jonas, Don Morgan |
Montage | Donald W. Ernst |
Musiques | John Madara |
Synopsis
Vinnie, le chef du gang des Stompers, traîne dans les rues de Brooklyn avec son meilleur ami Crazy Shapiro entre cigarettes, beuveries et jolies filles abordées d’un « Hey, good lookin’ ! ». Un matin, le duo se réveille au beau milieu d’une plage fréquentée par le gang sicilien local. En fuyant, Vinnie se heurte aux Chaplains, une bande rivale noire dirigée par Boogaloo Jones : ce dernier proclame une bagarre entre les Stompers et les Chaplains en ajoutant que tout refus de la part de Vinnie lui vaudra d’affronter la bande seul. Le bellâtre gominé – qui n’est en réalité chef de gang que pour le côté cool et rebelle et non pour ce que cela implique – se retrouve alors coincé entre l’apathie des Stompers qui n’ont pas plus envie que lui de se battre, les beaux yeux de sa petite amie Rozzie et la colère de Crazy…
Commentaires
Hey Good Lookin’ est le seul long-métrage d’animation de Ralph Bakshi à n’avoir pas été distribué en France et aussi l’une des œuvres les moins citées de sa filmographie. Il faut dire que le film n’a pas beaucoup fait parler de lui à sa sortie et que sa forme finale est très éloignée de celle prévue au départ.
Durant la seconde moitié de l’année 1973, le réalisateur est en pleine production de son troisième film Coonskin et écrit en parallèle le script de son long-métrage suivant pour maintenir l’activité de sa jeune structure Bakshi Productions. Le projet intitulé Hey Good Lookin’ est présenté comme une satire de l’Amérique des années 1950, en puisant dans la jeunesse de Bakshi (les personnages de Vinnie et Crazy sont directement inspirés de deux camarades de lycée). La Warner (qui regrette d’être passée à côté du succès de Fritz the Cat après s’être retirée au dernier moment en tant que distributeur) pose une option dessus. Bakshi annonce à la presse qu’il s’agira de son film le plus poussé sur le plan du mélange entre animation et prises de vues directes, où les quatre personnages principaux (Vinnie, Crazy, Rozzie et Eva) seront en dessin animé et interagiront avec un environnement et des acteurs filmés.
Au début de l’année 1974, alors en plein montage de la première version de Coonskin, le réalisateur planche sur le story-board d’un projet de série pour la chaîne ABC (qui finalement ne verra pas le jour) et sur l’achèvement du script de Hey Good Lookin’ pour lequel la Warner accorde un budget de 1,5 millions de dollars. Du fait de cette somme jugée trop réduite, la pré-production est concentrée sur une semaine, en incluant le casting où l’on retrouve les acteurs Richard Romanus et David Proval (issus du film Mean Streets de Martin Scorsese) qui assurent respectivement les voix de Vinnie et Crazy.
Le tournage commence en avril et durera en tout 4 semaines. Une partie des scènes sont filmées dans les rues de New-York, uniquement de nuit pour faciliter la vraisemblance avec les années 1950, tandis que les autres sont tournées aux studios de la Warner à Los Angeles, dans les anciens décors du film Angels With Dirty Faces (1938) de Michael Curtiz. Souhaitant un jeu naturaliste, Bakshi donne seulement quelques indications contextuelles à ses acteurs afin que ces derniers improvisent leurs dialogues. Mais durant le premier jour du tournage, les comédiens sont peu à l’aise face à la caméra. Le réalisateur répond à cela en leur demandant de se maintenir dans leur personnage durant les pauses et, petit à petit, les membres du casting commencent à se détendre au point que Bakshi finit par s’emparer de la caméra pour les filmer durant ces moments de relâchement, obtenant ainsi ce naturalisme recherché. Le chef opérateur William A. Fraker appréciera peu la manœuvre et quittera aussitôt le projet ; il sera remplacé par le débutant Timothy Galfas qui travaillera par la suite avec Bakshi sur Le Seigneur des Anneaux (1978).
La production se poursuit avec parmi ses moments les plus mémorables, le numéro de danse des Chaplains face à Vinnie : sous la direction de la danseuse et chorégraphe Toni Basil, les interprètes livrent face à la caméra une démonstration de popping à une époque où les danses rattachées au breakdance étaient totalement inédites au cinéma (le tout sur le morceau Sing, Sing, Sing de Benny Goodman, l’une des musiques préférées de Bakshi qui l’inclura plus tard dans la BO d’American Pop).
L’intégration des personnages animés posera toutefois plus de problèmes : les scènes hybrides nécessitant un passage à la tireuse optique, la prestation à l’échelle d’un long-métrage entier s’élève à près de dix fois le budget de Hey Good Lookin’ ! Avec l’aide de son opérateur banc-titre Ted Bemiller, Ralph Bakshi parvient à trouver une solution alternative en achetant de sa propre poche une vieille caméra 35 mm pour 8000 dollars et en s’en servant pour projeter les images live sous la table lumineuse de l’animateur, puis apposer par-dessus les cellulos image par image. Le résultat ne sera pas aussi propre qu’avec la tireuse optique mais suffisant pour être efficace.
Alors que Hey Good Lookin’ est à un stade avancé, une bande promotionnelle de 3 minutes est diffusée lors du Festival de Cannes de 1975, la Warner se dit satisfaite du bon déroulement de la production et prévoit une sortie en salles pour les fêtes de Noël. Mais une semaine plus tard à la suite d’une projection-test, la firme change d’avis en estimant que le public ne comprendrait pas pourquoi les protagonistes sont en dessin animé au beau milieu d’un film live sans la moindre explication. De plus, la bande sonore composée par Dan Hicks est complétée de plusieurs morceaux tirés de la collection de vinyles de Bakshi dont les droits d’exploitation feraient grimper le budget en flèche. Mais la véritable raison du rétropédalage de la Warner est la polémique engendrée par Coonskin ; la sortie de Hey Good Lookin’ est reportée à l’été suivant et Bakshi est sommé de retravailler le film entièrement en animation.
Les scènes live sont progressivement supprimées (dont une où le groupe des New York Dolls faisait une apparition), de nouveaux dialogues sont enregistrés mais Frank Wells, le président de la Warner, affirme que le film en l’état ne marche toujours pas et que Bakshi a manqué à ses obligations contractuelles en utilisant plus d’images en prises de vues réelles que prévu. L’avocat du réalisateur parvient à éviter une éventuelle poursuite judiciaire de la part du studio ; Hey Good Lookin’, annoncé pour l’automne 1976, est de nouveau repoussé pour l’année suivante puis finalement reporté à une date indéterminée tandis que Bakshi doit achever le film par ses propres moyens, la Warner ne souhaitant plus dépenser le moindre centime dans le projet. À cela s’ajoute le départ de plusieurs animateurs noirs suite à la controverse de Coonskin, réduisant un peu plus les effectifs de Bakshi Productions.
C’est ainsi que durant la production de ses trois films suivants (Les Sorciers de la Guerre, Le Seigneur des Anneaux et American Pop), le réalisateur va consacrer son temps libre à travailler sur Hey Good Lookin’ avec 2 ou 3 collaborateurs. Tous les personnages étant animés, le doublage – à quelques répliques près – est refait à neuf, y compris pour Romanus et Proval. L’interprète principal de Coonskin, Philip Michael Thomas, rejoint également le casting dans le rôle de l’antagoniste Boogaloo Jones. Le projet évoluant de façon trop incertaine pour le compositeur Dan Hicks, ce dernier décide de sortir en album la BO de la première version du film sous le titre de It Happened One Bite en 1978. Son remplaçant, le producteur John Madara, composera bénévolement pour Bakshi (en échange de la conservation de ses droits d’auteur) une musique mêlant le doo-wop des années 1950 avec les sonorités new-wave des années 1980.
Les succès en salle d’American Pop et de Métal Hurlant confirment aux yeux de Frank Wells une tendance favorable pour les films d’animation visant les adultes et programme la sortie de la nouvelle version de Hey Good Lookin’ pour le mois d’octobre 1982. Bien que bénéficiant d’une structure spéciale pour sa distribution qui lui vaudra un accueil honorable à l’étranger, le film passera globalement inaperçu aux États-Unis. C’est au fil de ses rediffusions sur les chaînes câblées qu’il finira par devenir culte aux yeux d’une génération n’ayant pas connu les premières œuvres de Bakshi. Le principal intéressé quant à lui le considèrera comme une blessure profonde dans sa carrière, au point de n’avoir jamais revu le résultat final. D’après lui, la Warner possèderait toujours dans ses archives une copie de la version originale de 1975.
À l’instar de Coonskin, le film est sorti en DVD pirate chez Blax Films sous le titre de Coonskin 2 (!) avant de connaître en 2013 une édition officielle en DVD à la demande au sein de la Warner Archive Collection, sans aucun bonus à l’exception d’un trailer.
Avec son récit plus linéaire et sa production tumultueuse, Hey Good Lookin’ apparaît comme une œuvre plus conventionnelle, loin d’égaler la folie baroque qui caractérise les autres volets urbains de Bakshi que sont Flipper City (1973) et Coonskin. De la prise de vues directes, il ne reste que quelques plans durant les virées nocturnes de Vinnie ou la scène des toilettes, mêlant photos et dessins. Le réalisateur se refusera également de refaire en animation la séquence de popping qu’il se contentera de rotoscoper (ce qui aura pour effet de donner à ce passage un effet trop détonant par rapport au reste du film).
Toutefois, même si la proposition narrative de départ a été éventée, le résultat a visuellement de beaux restes avec son animation particulièrement soignée, ses personnages aux gueules improbables et ses décors aux perspectives éclatées. Soit autant d’éléments qui tentent de saisir l’essence d’une époque dans tout ce qu’elle peut avoir de plus iconique et surtout de plus grotesque car le récit est une pure déconstruction de la vision idéalisée de l’Amérique des années 1950 : Vinnie, le personnage principal se voulant charismatique est un fuyard à la tête d’un gang qui ne le respecte pas, sa petite amie Rozzie est aveuglée par son image faussement cool et son pote Crazy, dans le rôle du sidekick comique avec ses outrances cartoonesques, est un psychopathe ultra-violent. Quant à Eva, la meilleure amie de Rozzie, qui colle complètement au cliché hollywoodien de la « grosse » qui ne pense qu’à manger, celle-ci s’avère être en réalité le seul personnage humain et sympathique de la bande, fascinée par la réalité qui l’entoure tout en ayant la sagesse de se tenir à distance des événements quand les circonstances l’exigent ; le récit l’évince d’ailleurs de façon assez abrupte, montrant à quel point ce monde déviant n’est pas fait pour elle.
Globalement, le film souffre d’une narration heurtée où les séquences s’enchaînent avec des manquements à la continuité qui se font d’autant plus sentir que l’intrigue est très schématique dans son déroulement. Il en ressort une impression de légèreté qui vient se heurter à la violence sourde du récit mais aussi d’absence d’accomplissement, faisant de Hey Good Lookin’ une œuvre moins mémorable dans le parcours de Ralph Bakshi malgré ses qualités. Après cette expérience douloureuse, le réalisateur se changera les idées en travaillant avec son ami Frank Frazetta sur Tygra, la Glace et le Feu (1983).
Un grand merci à Tony Best pour la documentation.
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Sources :
https://lostmediawiki.com/
Tony Best, Inner City Hues : The Saga of Hey Good Lookin’ , Ralph Bakshi’s Fractured Masterpiece, www.waxpoetics.com, 2010.
Jon M. Gibson et Chris McDonnell, Ralph Bakshi, un rebelle du dessin animé, Seuil, 2009.
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