Diffusions
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1ère diff. streaming | 12 mai 2020 (My Canal) |
Synopsis
Dans son château situé au cœur de l’Île du Mal, le baron Boris von Frankenstein parvient à mettre au point l’arme ultime : une formule chimique permettant d’annihiler toute matière. Pour célébrer cet accomplissement, le savant envoie une lettre à tous les membres de l’Organisation Mondiale des Monstres – dont il est le dirigeant – leur demandant de le rejoindre tout en faisant savoir à sa secrétaire Francesca qu’il prend officiellement sa retraite et qu’il a l’intention de désigner un successeur à qui il transmettra tout son savoir et ses secrets. La jeune femme contient sa colère en apprenant que le successeur en question sera le neveu du baron, un simple être humain du nom de Felix Flanken.
Accompagné de son monstre Fang et de la Fiancée de ce dernier, Frankenstein reçoit les monstres que sont le comte Dracula, l’Homme Invisible, la Momie, le Loup-Garou, Docteur Jekyll et Mister Hyde, le Bossu de Notre-Dame et la Créature du Lac. Au moment du dîner, le savant présente sa découverte à ses pairs avant de leur annoncer sa retraite et d’ajouter que la désignation de son héritier aura lieu demain soir. L’ambitieuse Francesca profite de la fête pour aller s’isoler avec le comte Dracula, lui révèle le nom du successeur et lui propose un marché : se débarrasser de Felix afin de devenir, en tant que personnes parmi les plus proches du baron, les nouveaux héritiers.
C’est sur ce fond de complot qu’arrive au lendemain l’intéressé, qui s’avère être un jeune nigaud inoffensif et maladroit, en proie à de nombreuses allergies et dont la naïveté et la chance insolente vont mettre à mal le plan de Francesca… à moins que celle-ci ne finisse par tomber sous le charme de cet intrus parmi les monstres.
Commentaires
Si le duo formé par Arthur Rankin Jr et Jules Bass est surtout connu en France pour ses productions animées des années 1980 (Le Vol du Dragon, La Dernière Licorne ou Cosmocats), ses premières créations dans le domaine de la stop motion restent encore inédites dans nos contrées. C’est pourtant avec cette technique, labellisée "Animagic", que le studio Rankin Bass Productions établira sa réputation en 1960 avec la série The New Adventures of Pinocchio, suivie de divers programmes saisonniers pour le petit écran, notamment pour les fêtes de Noël avec Rudolph the Red-Nosed Reindeer (1964). Produits aux États-Unis et animés au Japon par le studio MOM Productions, ces courts-métrages deviennent rapidement des œuvres-phares de la télévision américaine et donnent à Rankin Bass l’impulsion nécessaire pour conquérir le grand écran.
C’est en 1965 que sort leur premier long-métrage, Willie McBean and His Magic Machine, une histoire de voyage temporel qui nécessita 3 ans de production. Lui succèdera l’année suivante The Daydreamer, inspiré de l’œuvre de Hans Christian Andersen ; porté par le producteur Joseph E. Levine, le film mêlant figurines animées et acteur réels se veut ambitieux, souhaitant reproduire le succès de Mary Poppins malgré un budget moindre élevé à 2 millions de dollars. En dépit du charme des séquences animées, le résultat déçoit Levine qui fait annuler la sortie du film ; The Daydreamer sera finalement diffusé sur la télévision câblée où il recevra des critiques globalement positives.
Pour le projet suivant, le producteur souhaite se rattraper avec un film se distinguant du catalogue de Rankin Bass. Durant les années 1960, les monstres connaissent un regain de popularité auprès du jeune public avec les séries télé (La Famille Addams en tête) et les produits dérivés en tout genre (masques, figurines, bandes dessinées…) ; le studio y voit là l’occasion parfaite de s’aventurer dans cet univers joyeusement macabre. Harvey Kurtzman, le co-fondateur du magazine Mad, est chargé d’écrire le scénario (bien que l’homme déclarera par la suite que son script a été jeté malgré son nom maintenu au générique). Jack Davis, autre pilier de Mad et auteur de bandes dessinées horrifiques pour EC Comics, est appelé au chara-design que MOM Productions prend en charge, chaque marionnette coûtant environ 5000 dollars. Des stars sont appelées pour les voix des personnages (pratique alors peu courante à l’époque dans le domaine de l’animation) avec Boris Karloff dans le rôle du baron Frankenstein – en hommage à la créature qui l’a rendu célèbre 3 décennies auparavant – et Phyllis Diller dans le rôle de la Fiancée du monstre (désormais appelé Fang).
Le film sort en 1967 sous le titre de Mad Monster Party ? (le point d’interrogation est présent au générique d’ouverture mais pas sur les affiches promotionnelles). Et s’il ne rapporta que très peu d’argent à l’époque, il allait pourtant devenir dans les années qui suivirent une œuvre culte…
À défaut de proposer un récit au rythme endiablé, Mad Monster Party ? possède un charme rétro qui lui est propre : plus que les péripéties autour de Felix Flanken, ce sont avant tout les interactions entre les monstres qui constituent le cœur du film, où les auteurs transmettent le plaisir simple de voir toutes ces figures de la culture populaire réunies et présentées comme des personnes ordinaires qui prennent du bon temps ensemble. L’intrigue est ainsi régulièrement suspendue au profit de saynètes avec les monstres, chacun se retrouvant mis en valeur comme sur la scène d’un théâtre, le tout ponctué de numéros chantés entraînants : une Phyllis Diller aux manières dignes d’une Cruella d’Enfer clame son amour pour son monstre adoré avec You’re Different ; la chanteuse Gale Garnett célèbre l’accord passé entre Francesca et Dracula sur Our Time to Shine aux allures de chanson de cabaret, tandis que Boris Karloff se pose en récitant sur One Step Ahead, chanson de soutien pour Felix rehaussée d’un chœur pour entonner un refrain aussi simple qu’enthousiasmant. Mais les chansons peuvent également se faire langoureuses, à commencer par le puissant générique d’ouverture interprété par Ethel Ennis et dont les orchestrations jazz dantesques renvoient ouvertement à John Barry période Goldfinger ; Gale Garnett donne également de la voix sur Never Was a Love Like Mine, une chanson d’amour suave aux accents exotiques. De manière générale, la bande-son composée par Maury Laws est une véritable réussite mêlant jazz, easy listening et pop avec un sens du pastiche la plaçant aux côtés des œuvres de Henry Mancini (La Panthère Rose) ou de Neal Hefty (le feuilleton Batman) ; elle ne connaîtra pourtant qu’une édition limitée, aussi bien en CD (1998) qu’en vinyle (2016).
Outre la musique, l’aspect enfantin d’ordinaire présent dans les récits de Rankin Bass est ici saupoudré d’un esprit plus grinçant que d’ordinaire, mêlant aux jeux de mots faciles et à l’humour slapstick des sous-entendus à destination des adolescents et des adultes (notamment via Francesca, probablement le personnage le plus sexualisé de l’histoire de la stop motion). Éloignés du style habituel du studio tout en rondeurs rassurantes, les designs assurés par Jack Davis confèrent énormément de caractère aux personnages que les comédiens interprètent avec talent : Boris Karloff joue un baron Frankenstein dont la sympathie tranche avec son inquiétante découverte à l’origine de l’intrigue, Phyllis Diller incarne la Fiancée extravertie du monstre avec un plaisir communicatif et Gale Garnett dans le rôle de Francesca s’inscrit avec bonheur dans la tradition des femmes fatales. Mais la performance la plus mémorable est bien celle du vétéran du doublage Allen Swift qui assure à lui seul l’intégralité des seconds rôles avec une impressionnante élasticité, soit plus de 15 personnages différents ! Entre un Dracula à la voix pincée, un Felix Flanken doté d’une diction à la James Stewart, un Homme Invisible au timbre bonhomme, un chef cuisinier à l’accent italien et un majordome zombie avec le phrasé particulier de l’acteur Peter Lorre – en plus du physique –, le film fait figure de manifeste des capacités d’acteur de Swift. L’animation faite de mouvements bruts et de poses figées renforce l’aspect comique des situations et se fond parfaitement dans la fantaisie ambiante.
Tous ces éléments contribuent à la joyeuse humeur qui règne dans Mad Monster Party ? où le film pour enfants, la comédie musicale, les films de monstres, la soirée cocktails et la peur du nucléaire sont brassés en un mélange coloré qui influencera plusieurs générations de créateurs. Ainsi, le Dracula conçu par Jack Davis inspirera Jim Henson pour le personnage du Comte dans son émission Sesame Street ; L’Étrange Noël de Monsieur Jack, Toonsylvania, Igor ou Hôtel Transylvanie chacun à leur manière doivent énormément au film de Rankin Bass. Et son statut d’œuvre-référence fut confirmé en 2012 lors d’une exposition aux Van Eaton Galleries à Los Angeles dans laquelle 70 artistes issus de l’illustration et de l’animation lui rendirent hommage.
En 1972, une préquelle de 43 minutes intitulée Mad Mad Mad Monsters sera réalisée en dessin animé traditionnel et sous-traité chez Mushi Production, le studio d’Osamu Tezuka.
Étrangement, bien que Mad Monster Party ? soit issu de cette portion de catalogue de Rankin Bass détenue par Studio Canal, la France dut attendre l’année 2020 pour que le film y soit diffusé et uniquement en streaming.
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Sources :
Jerry Beck, The Animated Movie Guide, Chicago Review Press, 2005.
Jonathan Clements, Anime : A History, The British Film Institute, 2013.
Robin L. Murray & Joseph K. Heumann, That’s All Folks ? Ecocritical Readings of American Animated Features, University of Nebraska Press, 2011.
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