Les 1001 Nuits

Editions
Sortie en DVD / Blu-ray10 juillet 2018 (Eurozoom)
Synopsis

Aladin, un vendeur d’eau itinérant, arrive au marché de Bagdad où il tombe amoureux d’une esclave. Alors que celle-ci vient d’être achetée par le fils du chef de la police, une tempête de sable se déchaîne ; Aladin profite de la confusion pour s’enfuir avec la jeune femme appelée Miriam. Réfugiés dans une maison luxueuse, les deux amants s’unissent, sous le regard concupiscent du propriétaire des lieux. La police retrouve le couple, fait assassiner le notable voyeur par le bandit Kamahakim et ses 40 voleurs, et impute le crime à l’infortuné Aladin.
Quelques mois plus tard, Miriam meurt en donnant naissance à une fille, Jalis. Ayant résisté à la torture durant un an, Aladin parvient à s’enfuir et apprend le décès de sa bien-aimée. Ivre de vengeance, il retrouve la trace de l’inspecteur Badli, impliqué dans l’assassinat du notable, et s’apprête à le tuer avant de se raviser.
Commence alors pour le vendeur d’eau un long voyage initiatique fait de magie, de sexe et de pouvoir durant lequel il ne connaîtra aucune limite, entre grandeur et décadence... jusqu’à ses retrouvailles inattendues avec sa fille Jalis.

Commentaires

À l’issue de la production de la série Le Roi Léo, Osamu Tezuka souhaite aller au-delà des productions destinées au marché local pour le jeune public. Les finances de son studio Mushi Production s’avérant insuffisantes pour concrétiser un film à la hauteur de ses ambitions, le parrain de l’animation japonaise propose un partenariat avec la société Nippon Herald Films. Ses membres, séduits à l’idée d’un long-métrage d’animation spécialement destinés aux adultes, acceptent de soutenir le projet en tant que co-producteur et distributeur ; ils lui attribuent également le nom d’Animerama (contraction d’anime et de drama). Dans un premier temps, Tezuka et son second Eiichi Yamamoto souhaitent adapter le mythe de Faust mais l’idée est aussitôt rejetée suite à la sortie du film Doctor Faustus de Richard Burton et Nevill Coghill. De plus, la Nippon Herald réclame un certain contenu érotique ; une adaptation du Décaméron est un temps envisagée avant que Tezuka ne fasse le choix des Contes des 1001 Nuits.

Tezuka et Yamamoto partent alors d’une édition japonaise des contes traduite de la version anglaise de Sir Richard Francis Burton. Cette traduction présente deux avantages : d’une part, elle inclut les récits ayant été ajoutés par le traducteur français Antoine Galland, à savoir Aladin et la Lampe Merveilleuse, Ali Baba et les 40 Voleurs et Les Aventures de Sinbad le Marin, qui figurent parmi les plus connus en dépit du fait qu’ils n’aient jamais fait partie des contes d’origine. D’autre part, la version de Burton conserve le caractère sexualisé des histoires, aspect qui avait été totalement évacué de la traduction de Galland (et par extension du film Simbad le Marin que Tezuka a co-scénarisé pour la Toei en 1962).

De ce matériau, le maître en tire un premier synopsis qui ne parvient pas à convaincre la Nippon Herald ; Yamamoto et le chara-designer Takashi Yanase arrivent en renfort pour définir les grandes lignes du récit, de même que le caractère du protagoniste Aladin que les auteurs ne parviennent pas à saisir. Lors d’une réunion, Yamamoto a une révélation en pensant à Jean-Paul Belmondo dans À bout de souffle (1960) de Jean-Luc Godard : Aladin reprend ainsi une partie du caractère de l’acteur et ses traits, 11 ans avant que le mangaka Buichi Terasawa ne fasse de même avec Cobra. Le nouveau synopsis créé sur cette base est validé et le scénario est écrit avec l’aide de Hiroyuki Kumai, directeur de la troupe Tokyo Engeki Ensemble, et de Kazuo Fukuzawa, auteur travaillant en parallèle sur Horus Prince du Soleil pour la Toei. Le tout est supervisé par Yamamoto, désigné à la réalisation, ainsi que Yanase qui apportera quelques éléments (dont le personnage du chef de la police).

Le script est achevé, Tezuka se lance dans la conception du storyboard mais son perfectionnisme le pousse à ne livrer que 4 à 5 pages par jour et ralentit considérablement la production, tant et si bien qu’en 6 mois, plus de la moitié du découpage reste encore à faire. Le film étant parti pour durer 3 heures, des coupes sont effectuées et le scénario doit être réajusté en conséquence. À la fin de l’année 1968, les animateurs achèvent 5 minutes d’images… alors qu’il reste encore 2 heures de film pour une sortie programmée dans les 6 prochains mois !

L’équipe se lance dans une véritable course contre la montre, travaillant jour et nuit et mobilisant plus de 20 sociétés de sous-traitance pour livrer une animation complète – avec parfois l’utilisation de maquettes pour certains plans en mouvement – avant l’enregistrement des dialogues effectué à la toute fin. D’un montage de 2h23, le film est ramené à 2h08 après le passage en commission de censure et sort dans les salles japonaises le 14 juin 1969 ; dans l’urgence de la production, les premières copies comporteront des plans non finalisés qui seront achevés au fil de l’exploitation du film.

Essentiel, Les 1001 Nuits l’est à plus d’un titre. Sa longueur exceptionnelle pour un long-métrage d’animation (à l’époque, seuls Fantasia et Le Roi des Singes peuvent prétendre rivaliser avec lui), le fait qu’il cible spécifiquement les adultes et son récit épique foisonnant marquent un tournant dans l’approche globale du médium. Son ambition se concentre dans sa direction artistique où Tezuka et Yamamoto multiplient à l’envi les approches plastiques les plus contrastées pour générer une ivresse des sens du spectateur, au-delà des scènes érotiques qui parsèment le récit. Ces dernières peuvent parfois être triviales mais ne basculent jamais dans la vulgarité ou le racolage, privilégiant les sensations et l’effet de lâcher-prise à une bête représentation frontale ; en témoigne notamment une scène abstraite animée par Gisaburô Sugii (Théo ou la batte de la victoire) montrant des formes charnelles entremêlées, évoquant diverses parties du corps dans un jeu de métamorphoses perpétuelles d’une rare sensualité.
La beauté des images se heurte à l’animation brute et au graphisme tantôt raffiné tantôt cartoonesque de Tezuka ; les plans proposent aussi bien une palette chromatique luxuriante que des aplats de couleurs francs, le tout sur fond de musique alternant envolées orchestrales et jazz psychédélique... il n’est pas abusif de considérer Les 1001 Nuits comme un pur produit de son époque, résonnant avec la scène pop art.
De plus, le film réunit la fine fleur de l’animation japonaise, avec parmi les animateurs Gisaburô Sugii évoqué plus haut mais aussi Osamu Dezaki (2ème partie de Lady Oscar), Sadao Miyamoto (Gatchaman) à la direction de l’animation, Isao Tomita (Princesse Saphir) à la musique, dirigée par Seiji Yokoyama (Les Chevaliers du Zodiaque)...

Concernant le récit, la réunion de différents contes donne lieu à une fresque dense, où les personnages nouent des intrigues politiques et amoureuses avec Aladin en fil conducteur qui passe du vendeur d’eau insouciant à l’amoureux transi, de l’âme blessée au voyageur ingénu, jusqu’à se laisser corrompre par l’envie d’aller toujours plus loin, toujours plus fort. La longue durée du film permet de mesurer à sa juste valeur le parcours du protagoniste, poussant le spectateur à se demander jusqu’à la fin quelle sera sa prochaine étape.

Les critiques japonais acclameront l’avant-gardisme du film qui lui vaudra un énorme succès commercial, notamment auprès du public féminin. Fière de cette réussite, la Nippon Herald met en chantier le deuxième volet d’Animerama intitulé Cleopatra.

Toutefois, l’exploitation internationale des 1001 Nuits ne sera pas aussi heureuse et se limitera surtout aux festivals. Si les distributeurs étrangers loueront les qualités du film, ces derniers ne savent pas comment le vendre, la mentalité « dessin animé = enfants » étant encore très ancrée dans les esprits. Les États-Unis notamment lui offriront une exploitation limitée, sans passage par la commission de classification, dans un montage réduit à 1h40 avec un doublage anglophone (version aujourd’hui considérée comme perdue). Quant à la France, il fallut attendre l’année 2018 pour que le distributeur Eurozoom le ressorte en version restaurée – conjointement avec Cleopatra – suite à sa distribution du long-métrage La Belladonne de la tristesse en juin 2016, considéré comme le troisième (et dernier) Animerama.

Auteur : Klaark
Sources :
http://cartoonresearch.com/
Osamu Tezuka, Banc-Titre n°44
https://tezukaosamu.net/
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Senya Ichiya Monogatari © Osamu Tezuka, anonyme / Mushi Productions, Nippon Herald
Fiche publiée le 19 février 2019 - Dernière modification le 27 mars 2019 - Lue 11705 fois